FONCTIONS PUBLIQUES : LA CFDT DÉFEND LE STATUT ET LE DIALOGUE SOCIAL

L’intégralité de l’interview donnée à l’AEF par Mylène Jacquot, secrétaire générale de la CFDT Fonctions publiques.

 

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"S'il existe depuis 1983 dans sa forme actuelle, c'est bien parce qu’il est utile, consensuel et évolutif. Pour preuve, 32 lois l’ont déjà modifié depuis 1983, soit quasiment une par an. C’est un élément important, mais se focaliser sur [le statut des fonctionnaires] c’est passer, avec une logique populiste, à côté de la question des politiques publiques et de ce que l’on attend de notre fonction publique, et du rôle rempli par les agents", déclare Mylène Jacquot, la secrétaire générale de la CFDT Fonctions publique dans une interview à AEF, lundi 10 octobre 2016, à propos des programmes des candidats à la primaire de la droite et du centre qui proposent de supprimer des centaines de milliers de postes de fonctionnaires et le statut des agents territoriaux. Elle salue aussi l’avancement de l’application du protocole PPCR et de la loi déontologie et plaide pour un plan santé au travail.

AEF : Que pensez-vous du débat sur la fonction publique tel qu’il émerge dans le cadre de la campagne présidentielle de 2017 ?

Mylène Jacquot : Le débat est beaucoup plus fort que lors de la précédente élection présidentielle. La manière dont le sujet émerge est assez inquiétante et à côté des enjeux. La seule question posée n’est jamais celle des politiques publiques, jamais celle du rôle de l’État ou des autres employeurs publics ; le débat est uniquement abordé sous le seul angle du coût et des effectifs, ce qui est dommageable. Cela obère complètement le rôle de la fonction publique et de l’investissement au travail des agents publics.

Cela s’explique par un contexte particulier : nous sommes en période de primaires et chacun des camps se jauge en interne. C’est pourquoi la CFDT Fonctions publiques ne réagit pas à ce stade du débat. Nous avons très clairement l’impression que le travail des agents n’intéresse personne, alors qu’il y a de vrais sujets, notamment dans la période particulière que l’on traverse : des enjeux se posent en termes de sécurité, de santé publique, de politique fiscale avec la mise en œuvre du prélèvement à la source, etc..

Le temps des primaires n’est clairement pas celui du dialogue social, les agents continuent de faire leur travail comme toujours et nous, en tant qu’organisation syndicale, continuons à nous investir pleinement dans le dialogue social car l’agenda social existe, il est bien rempli, et il y a des sujets très importants à traiter pour les agents, fruit de discussions antérieures, de lois à mettre en œuvre, de droits nouveaux à construire. Nous sommes dans deux temps qui ne sont pas les mêmes. Nous interpellerons les candidats à l’élection présidentielle en temps voulu.

AEF : Craignez-vous, en cas d’alternance politique, une réelle remise en cause du statut et la suppression de plusieurs centaines de milliers de postes ?

Mylène Jacquot : Il y a un sujet à côté duquel on passe : celui de l’utilité du statut. Nous détestons centrer tout notre discours sur le statut, mais il nous semble que tenir de tels propos, en prévoyant de supprimer tant de centaines de milliers de postes, de supprimer le statut pour la territoriale, c’est passer à côté du débat et oublier que non seulement le statut est le fruit d’un consensus qui n’est pas nouveau mais en plus qu’il est important et utile pour les agents, les citoyens et les employeurs.

S’il existe depuis 1983 dans sa forme actuelle, c’est bien parce qu’il est utile, consensuel et évolutif. Pour preuve, 32 lois l’ont déjà modifié depuis 1983, soit quasiment une par an. C’est un élément important, mais se focaliser sur ce statut c’est passer, avec une logique populiste, à côté de la question des politiques publiques et de ce que l’on attend de notre fonction publique, et du rôle rempli par les agents. On observe une déconnexion totale des attentes de service et de fonction publique, très fortes dans certains secteurs, avec ce qui est affiché. Que l’on s’interroge sur l’efficacité de la dépense publique, pourquoi pas, mais il ne faut pas aborder toutes les questions par le seul angle de la dépense.

AEF : Le protocole PPCR est en cours de mise en œuvre et les premiers textes d’application ont été publiés cette année. Le rythme d’avancement de ce travail et la procédure de consultation vous satisfont-ils ?

Mylène Jacquot : Le calendrier d’avancement est pour l’instant respecté, donc nous ne pouvons pas dire que nous ne sommes pas satisfaits, même si l’on aimerait avoir le temps de travailler plus en amont. Nous sommes contents que le rythme et le calendrier soient respectés, car c’est un travail colossal.

Autre engagement respecté : la décision de revaloriser la valeur du point, en mars dernier. On a tendance à l’oublier, mais ce rendez-vous était inscrit dans PPCR. De la même façon, le transfert prime-point est effectif, les textes sont sortis et la première vague de mesures est en cours. Le texte sur la transposition des grilles aussi, tout comme ceux sur les paramédicaux, les attachés, les ingénieurs de l’État. Le processus est en cours pour les attachés de l’hospitalière, pour les catégories C tout comme pour les enseignants. Il reste des corps plus particuliers aux finances, à l’enseignement supérieur, telle la filière ITRF mais le travail est en cours et doit nous être présenté dans les toutes prochaines semaines. Cela avance et nous y veillons.

Toutefois, il y a encore des ministères où cela coince, parce que certains essayent de faire porter au protocole PPCR autre chose que ce qu’il contient. Nous sommes très clairs sur le sujet. Il n’y a certes pas d’accord majoritaire mais le protocole a été signé par un certain nombre d’organisations et le gouvernement a pris la décision de le mettre en œuvre unilatéralement, conformément aux règles qui régissent la fonction publique. C’est une entorse à l’esprit des accords de Bercy et à la loi de 2010, mais il n’y a pas d’entorse juridique, car nous sommes toujours dans une relation statutaire. Par ailleurs, je rappelle que le gouvernement a pris l’engagement de mettre en œuvre le protocole en fixant comme règle "PPCR, tout PPCR, mais rien que PPCR", et nous avons entendu cet engagement.

AEF : Et concernant la loi déontologie ?

Mylène Jacquot : Des textes nous ont été soumis ; là aussi, les choses avancent malgré l’ampleur du chantier : 27 décrets sont prévus. Toutefois, certains points méritent une attention accrue de la part des organisations syndicales, tel le texte qui doit nous être présenté prochainement sur les EPA dérogatoires. Le sujet a été abordé dans l’accord sur les contractuels. Pour rappel, il s’agit d’une dérogation au fait que tous les emplois doivent être pourvus par des fonctionnaires. Certains établissements sont sur une liste et peuvent à ce titre déroger au fameux article 3 qui dit que les emplois permanents ont vocation à être occupés par des fonctionnaires.

Cette liste est contestée, y compris par nous, car il semble que, parfois, la dérogation est dépourvue de vraie justification. Il y a eu un premier travail de révision de cette liste dans le cadre de l’accord de mars 2011 sur la sécurisation des parcours des contractuels et des établissements étaient sortis de la dérogation. D’autres y sont restés et on voit mal comment ils pourraient en sortir. C’est le cas par exemple des caisses de Sécurité sociale, dont les agents n’ont guère envie de devenir fonctionnaire. On se retrouve avec un article de loi déontologie qui se retrouve à réinterroger cette liste (article 43). Le texte doit nous être présenté prochainement.

Parmi les autres sujets, citons les obligations déclaratives, c’est-à-dire l’extension de l’obligation qui est faite aux élus de déclarer leur patrimoine et leurs intérêts. Mais là aussi le travail progresse. L’objectif de ce gouvernement est d’ailleurs de mettre en œuvre les textes avant les échéances électorales de mai et juin 2017.

AEF : Pouvez-vous nous faire un point sur les deux concertations prévues à l’agenda social pour 2016, celle relative au développement des compétences et les parcours professionnels, et celle qui porte sur la santé au travail ?

Mylène Jacquot : Concernant la concertation relative au développement des compétences et les parcours professionnels, les discussions actuelles sur la mise en œuvre du CPF (compte personnel de formation) avancent positivement et les grandes lignes sont fixées. Il restera toutefois quelques points à affiner tel le recours de l’agent en cas de refus de l’employeur, l’alimentation du compte, au-delà de la reprise du DIF, concernant notamment la possibilité qu’aura l’employeur d’abonder le compte dans certaines circonstances (reclassement, inaptitude…), ou encore le portail d’accès qui devrait être le même que celui des salariés du privé, géré par la CDC, ce qui nous semble évident en termes de portabilité des droits. Reste la question du financement, pour laquelle nous souhaiterions un fonds de mutualisation, ce qui s’annonce plus compliqué à mettre en place dans la fonction publique de l’État, entre ministères, que dans les versants territorial et hospitalier, qui ont déjà un système de cotisations.

D’une manière générale, l’ordonnance ne réglera pas tout et il important que nous puissions continuer à avancer par la suite, à l’occasion des textes d’application. Pourquoi ne pas réfléchir à un dispositif qui pourrait ressembler à celui du télétravail, sujet pour lequel des discussions ont précédé la finalisation du décret ? Il ne faut pas chercher à tout régler tout de suite, étant donné que nous sommes sur la construction de droits nouveaux qui devront être effectifs pour tout le monde.

S’agissant de la santé et de la sécurité au travail, ce sujet fait clairement le lien avec la partie pénibilité du CPA. Pour la pénibilité, il existe le dispositif bien connu de la catégorie active, mais il ne couvre pas l’ensemble des agents et est lié à des situations particulières traitées bien sûr collectivement. Il nous semble qu’il conviendrait de réfléchir au travail de tous ceux qui ne sont pas, ou plus couverts par l’exercice de la catégorie active, telles les infirmières qui en sont sorties lorsqu’elles sont passées en catégorie A alors que leurs missions sont restées les mêmes. Nous devons avancer petit à petit. Idéalement, nous aimerions voir déboucher un plan santé au travail et avancer vers la généralisation des fiches de prévention des expositions du suivi individuel avant d’en arriver au C3P [compte personnel de prévention de la pénibilité] proprement dit.

AEF : Quelle est votre analyse des autres chantiers en cours, notamment le temps de travail, sujet pour lequel des groupes de travail doivent discuter d’ici à la fin de l’année des suites du rapport Laurent (lire sur AEF) ?

Mylène Jacquot : Ce rapport met en évidence la question des sujétions particulières qui pèsent sur les agents publics. Il souligne que la proportion de personnels travaillant de nuit ou le week-end dans la fonction publique est plus importante que dans le privé. Ce qui est lié aux missions qui leur reviennent. Il faut le prendre en compte. Nous avons à ce propos adressé début septembre un courrier à la ministre de la Fonction publique lui demandant de tenir en compte de cette question (lire sur AEF). Les employeurs publics disposant de peu de moyens pour compenser les sujétions particulières, cela se fait sous forme de temps.

En lien avec les sujétions particulières et les astreintes, se pose aussi la question du compte épargne temps. Nous faisons donc le lien entre la mise en œuvre du CPA et du CET en demandant un volet CET dans le CPA afin de rendre ces comptes apparents et de faciliter leur utilisation. Au-delà, ce sujet renvoie plus largement à l’organisation du travail.

AEF : Quelle est votre position sur la protection sociale complémentaire ?

Mylène Jacquot : Nous demandons toujours une négociation sur le sujet. Mais pour qu’une négociation puisse s’engager sur de bonnes bases, il faudrait commencer par un bilan pour savoir effectivement combien d’agents sont couverts, comment ils sont couverts (conjoint, gratuité des soins dans l’hospitalière…). Nous savons par exemple qu’un certain nombre d’agents n’est couvert que pour la santé et non la prévoyance. Et nous sommes très attachés aux solidarités intergénérationnelles mises en place par les mutuelles.

AEF : Quelles remontées avez-vous concernant la réforme territoriale en matière d’accompagnement RH des agents ?

Mylène Jacquot : Les remontées que nous avons concernent beaucoup l’organisation du travail et de déplacements pour les agents. Mais la phase la plus délicate est passée au regard des interrogations de départ sur les implantations, les organigrammes. Après se pose la question du dialogue social dans les territoires. Des instances informelles ont été constituées pour accompagner la réorganisation. Faut-il les pérenniser et les formaliser ?

AEF : Quelle est votre position sur la diversification de l’accès à la fonction publique portée par la ministre ?

Mylène Jacquot : Très clairement, la fonction publique ne peut pas régler toutes les discriminations, celles-ci ayant des sources multiples et variées, mais elle doit impérativement prendre sa part dans une tentative de résorption de ces discriminations. Dans cette perspective, il convient de s’interroger sur les recrutements, leur organisation, le contenu des épreuves des concours, la composition et la formation des jurys. Il serait ainsi souhaitable qu’il y ait systématiquement une personnalité extérieure à l’administration qui recrute. Il faudrait aussi étudier les voies de développement des 3e concours.

Enfin, une initiative toute simple serait de mettre en place un portail sur les recrutements. L’accès à l’information constitue la première discrimination. Tant qu’il n’y aura pas de transparence, la fonction publique continuera à recruter des initiés. Nous ne pouvons pas continuer ainsi à donner l’idée d’une fonction publique qui, comme le dit le rapport L’Horty (lire sur AEF) reproduirait les inégalités scolaires et sociales.

AEF : Qu’attendez-vous de la mission sur l’avenir de la fonction publique confiée à Patrick Bernasconi ?

Mylène Jacquot : Ce rapport doit ouvrir des pistes de réflexion pour l’avenir. Il nous semblerait assez intéressant de s’interroger sur la notion de proximité : quel est le bon niveau ? Autre question importante : celle du numérique, qui soulève des enjeux importants mais pour lequel les vraies questions n’ont pas été posées. Le numérique simplifie les démarches des usagers, comme la déclaration de revenus en ligne, mais nécessite également la mise en place d’un accompagnement et implique de faire évoluer les missions des agents exerçant à l’accueil par exemple, les exigences des usagers ayant évolué du fait du développement des services en ligne. Il faudra donc s’emparer de certains sujets.

AEF : Comment la fonction publique doit-elle selon vous évoluer ?

Mylène Jacquot : Le numérique justement fait partie de cette évolution. La fonction publique se modernise de fait. Nous devons donc anticiper autant que faire se peut et tenir compte de ces évolutions. Cela implique d’avancer sur une RH différente de celle qui existe actuellement. Le sujet progresse, avec le lancement d’une nouvelle RH de l’État (lire sur AEF). Regrouper un certain nombre de missions RH permet aussi de libérer les niveaux de proximité pour que l’on aille vers des fonctions RH moins administrées et plus à l’écoute. Ce qui pose la question de la GPEC et de l’anticipation des besoins et des moyens. Il faudrait notamment anticiper le renouvellement générationnel auquel nous allons devoir faire face avec une vague importante de départs à la retraite. Nous devons donc nous interroger non seulement sur la transmission des missions et des compétences, mais aussi sur la culture de la fonction publique qui est profondément ancrée chez les agents : engagement, intégrité, sens du service public. Enfin, la fonction publique devrait aller vers un peu plus d’harmonisation.

Interview réalisé par Sixtine de Villeblanche et Clarisse Jay de l’AEF